Hier, j’ai décidé, lassé de regarder le soleil briller à travers la fenêtre de mon salon tout en jetant des coups d’œil sur le monde extérieur à travers le hublot de BFM TV, de commettre l’un des actes les plus transgressifs de ma jeune carrière de confiné : sortir de chez moi, pour une durée indéterminée, en bande familiale organisée, sans attestation des autorités compétentes. Nous nous sommes donc rendus dans un minuscule parc à 983 mètres de notre domicile, avec l’intention d’y demeurer aussi longtemps que nous le dicterait notre simple plaisir, ce complice désormais avéré de la propagation du virus. Pendant que les enfants batifolaient innocemment autour d’un ballon en mousse au milieu d’autres enfants totalement indifférents à la colère d’Olivier Véran, je restai caché derrière l’unique arbre du parc, cramponné à mon I-Phone et prêt à générer mon attestation en cas de surgissement inopiné d’une brigade d’intervention chargée du contrôle de la véracité du besoin de batifoler, tout à la joie de profiter pleinement des effets positifs du réchauffement climatique. C’est alors qu’est entrée dans le parcuscule, d’un pas aussi alerte qu’extraordinairement lent, une dame d’un âge certain, situé approximativement entre 90 et 127 ans, précédée d’un déambulateur précoce, dont elle faisait usage avec une évidente dextérité. Tous les regards se sont tournés vers elle avec le même désarroi : - mon Dieu, une personne âgée qui s’avance en milieu hostile, cible désignée des aérosols et goutelettes circulant dans le petit parc de manière totalement anarchique ! La dame est allée tranquillement s’asseoir sur un banc aussitôt libéré par ses occupants, elle a retiré son masque, et là, soudainement, un large sourire a illuminé son visage fripé, pour ne plus le quitter ; elle était tout bêtement heureuse d’être là parmi nous, je sais que c’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup. Elle regardait les enfants jouer, et elle était heureuse ; elle entendait le brouhaha des conversations, et elle était heureuse ; elle levait la tête vers le ciel tout bleu, et elle était heureuse ; elle voyait tous ces corps joyeux et bien vivants s’animer dans le petit parc, et elle était heureuse ; elle était toute seule, et elle était pleine de notre compagnie. J’ai compris alors que pour aucune pandémie au monde, elle ne se serait privée de cette joie simple, et je suis resté là à sourire idiotement en la regardant sourire, oublieux du motif originel de mon déplacement. Et pendant ce temps, un autre parent, un peu plus loin, souriait de me voir sourire à la simple vue du sourire d’une très vieille dame, lui-même observé discrètement par une autre personne se réjouissant intérieurement de voir quelqu’un sourire du simple fait de regarder sourire quelqu’un qui regarde sourire une veille dame… Ainsi se forma une chaîne ininterrompue de sourires, initiée par ce sourire incroyable de l’aïeule, plus contagieux que tous les virus. Nous étions ensemble, ce sourire nous reliait tous, malgré la distanciation sociale, et nous nous disions : « Quelle chance de vivre à une telle époque ! ».
C’est à ce moment-là que je me suis réveillé.
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